Le Haïku est une forme poétique brève d'origine sino-japonaise par laquelle peuvent s'exprimer les menues choses susceptibles de distraire le regard et qui sont néammoins des fils de la trame de la vie, la substance de toute mémoire.Chaque mot doit atteindre le centre exact de la cible, choisie étroite à dessein… (d'après Maurice COYAUD). Ci-dessous l'expression de participants au stage d'immersion en forêt organisé en juillet 2006.

L'Aff

 

Sentier d'humus

l'homme retrouve ses racines

L'arbre n'est pas loin

 

À hauteur des aigles

C'est fou ce que j'erre

-Sente royale-

 

Pourriture

Décomposition

Le poème reconstruit

 

Des mondes côtoyés

Nous ne parcourons que très peu

La chenille davantage

 

Arbre couché

Qu'importe !

De nouvelles verticales crèvent l'écorce

 

Maison du poème

Fenêtres bleues et dentelle

L'hortensia pour signature

 

Avec ou sans corbeaux

Dans le feu de l'amour

Chacun son tour

 

Les pigeons ramiers

se sont fait plumer

C'est "Autour des palombes"

 

Papillons sur les ronces

Mots sur le carnet

Toujours pour les sucs

 

Crayon et carnet

Le poème dans ses chaussures

Les idées se mêlent

 

L'Aff après la pluie

Les virgules chassent

Les points de suspension

 

D'autres avant

D'autres après

Le chemin se fait dans la mémoire

 

Satyre puant

Encore eût-il phallus…

Que je le susse

 

Le chemin prend racines

Attention !

Casse-gueule

 

Coquille d'oeuf

reste de Haïkus

- Qui l'a gobé ?

 

Choisir les mots

Casser les oeufs

Hommes et lettres !…

 

Deux corbeaux

Dans la cour de la ferme

Que font-ils là ?

 

Alan Putoud

Dans la vallée de l’Aff

 

…Murmure de l’eau

Refuge de l’Osmonde

Tout est pour le mieux…

 

…Hypse typographe

Dans l’intimité du bois

Clandestins à l’œuvre…

 

…Jaune soufré

Connivence avec le mycelium

Regard subintrant…

 

Illumine la voie

Mycelium jaune d’or

Couleur céleste…

 

…Transmission de vie

Pulsion irrépressible

Relais extravagant…

 

…Biotope humide

Se tenir sous le charme

Mesure conservatoire…

 

…Liane enjoleuse

Enlace-moi mon amour !

Épouse du tronc…

 

…Arbres effondrés

Jetés d’une rive à l’autre

Fouir les racines…

 

François ROBIN

Brocéliande

 

Fil ténu gravé

Que l'avion là-haut

Dans le bleu

 

Meules de foin en théories

Sur les champs jaunis

-Que reste-t-il aux mulots

Et déjà j'entends

Fredonner Vivaldi

 

Faucon à l'affût

Une hirondelle s'approche

-Pas le même gibier-

On moissonne encore

ça sent les regains

 

-Lendemain de cuite-

On prend un "rince-cochon"

Au café du coin

 

Fine bruine

Sur Brocéliande

Tout le vert soupire

 

À travers les vitres

de l'exposition

Le lac de Paimpont

 

Restes de pluie

Lissant les feuilles

des châtaigniers

 

Dernières lueurs du couchant

sur les aiguilles dorées

Des pins laricio

 

Les osmondes

ont changé de bord

Comme des crépidules

 

Calmes bords de l'Aff

Fusillade au loin

Des militaires à l'exercice

 

-Chemin étroit-

Carnage

Chez les bouviers

 

Hydromètre

Faisant les cents pas

- mare presque à sec -

 

A la lampe du soir

Lisant des haïkus

-Les grillons tranquillement-

 

Fougères d'un côté

Osmondes de l'autre

Les deux pieds dans la rivière

 

Grande forêt ensilencée

Passer

Ne pas peser

 

Et ce clavecin ruisselant

Rebondissant

Jusqu'au miroir des fées

 

-Jour de bruine-

Respiration ample

De la Haute forêt

 

Hirondelles rasantes

Sur les schistes rouges

Les moustiques se terrent

 

Regarder la lumière

Dans les arbres le soir

- La boire -

 

Lune à son lever

A travers les arbres

Les rapaces dorment

 

Dernières photos

Sous les pins laricio

Adieu le Tenedo !

 

Gilbert Aubert

L'Aff

 

Bière à la pause

Les champignons rigolent

Dans la mousse

 

À la clarté de la lune

Chasse aux tiques

- Tous à poil ! -

 

Bousier seul sur le chemin

Crottes sèches

Les sangliers ne sont pas loin

 

- Quelle cueillette ! -

Que de phallus impudicus

Dans ma besace

 

Dans les fougères

Lierre albinos

- Manque de soleil -

 

Assise sur un tronc

Sans rien voir

Face au bolet

 

Dans la nuit

Cri répétitif

Du grand duc

 

Après la promenade

Pas besoin de chouette

Pour s'endormir

 

Après la pluie

Sente humide

Le champignon

à fleur de terre

 

Françoise Toulisse

Bois mort/forêt vivante (80*65) Acrylique. Technique mixte. Robinfp

BoismortForetvivante

Voir aussi la galerie de photos séjour Brocéliande 1, 2 et 3

BroceliandeDezavelle

Présentation de Gilbert AUBERT

° Musicien, poète, géographe, animateur de Roudon diffusion artistique, Né à l’ Est dans les Vosges en 1950 mais résolument tourné vers l’ Ouest et ses brumes océanes.

° Parcours multiple de chanteur, de musicien de bals folk et de fabricant de (ses propres) recueils de textes. Enseignant pour l’ordinaire.

° Démarrage dans les années 60/70 sur la vague du Folk naissant (Centre Américain de Paris, premiers groupes de folk, festival d’ Avignon en solo – 1975 et 1978).

° Années 80 : retour en province (Normandie ), participation à plusieurs groupes de musique à danser pour une assez longue période de bals dans l’ Ouest.

° Multi-instrumentiste par occasion et par goût, de formation auto-didacte. Se plaît surtout dans la ballade française, anglo-saxonne et celte, quand il n’illustre pas musicalement lectures de textes et diaporamas. Ecrit ses propres chansons souvent inspirées de la musique traditionnelle, ainsi que des instrumentaux et des airs à danser dans la veine traditionnelle.

° Années 2000 : de nouveau à Paris avec un groupe récent, MODAL (refonte d’une ancienne formation des années 80 : Coloquinte) qui interprète de la musique du Moyen-Age et de la Renaissance.

° Parallèlement et ce, depuis plus de 30 ans, écrit des textes courts et les imprime à l’occasion (typo, duplicateur et off-set).

° Tombé dans le Haïku comme on tombe dans la piscine un jour de Printemps 77 à Dinan. Ne jure depuis que par le fragment et la poésie des menues choses, proche de la nature.

° De nombreux recueils de textes courts (inédits pour la plupart) où la nature tient une place importante, comme dans ses chansons.

° Participe à ou organise des randonnées souvent musicales en Brocéliande ou ailleurs, avec son vieux compère Bran Du, mainte nant dans le cadre de Roudon diffusion artistique.

° Collabore à cette association depuis quelques années et co-anime un atelier sur le Haïku.

Le Haïku : un exercice spirituel, limpide et immédiat au-delà de la parole (Gilbert Aubert in Pan'art de janvier-février 1993)

Lire du haïku est un rêve. En faire, est un régal aux saveurs ténues et foisonnantes. En parler est à la fois aléatoire et incertain... foi d'occidental !

Plusieurs auteurs français en parlent utilement, provoquant à la fois l'enthousiasme, l'intérêt et la compréhension dans leurs présentations et leurs traductions de haïku japonais : parmi lesquels Roger Munier, Maurice Coyaud, Roland Barthes, Alain Kervern, René Sieffert, Kenneth White...

Vu la nature du haïku et notre esprit occidental, dire le plus en la matière étant dire le pire, je me bornerai à la claire présentation de Roger Munier dans son recueil de traductions, intitulé Haïku. Sa lecture, alors que je cherchais à nourrir cette notion exotique et mystérieuse, m'a été d'un grand réconfort pour combler le vide, littéraire et esthétique, d'une forme d'écriture non contraignante qui puisse traduire sans trahir ce qu'on devine autour des choses. Si le haïku résiste, lecture comme écriture - et il n'est pas nécessairement facile pour les Orientaux eux-mêmes - c'est qu'il n'est pas une idée à transmettre mais un fait à dire, seulement à dire pour lui-même. Nous, Occidentaux, nous avons autant besoin du haïku que les Orientaux de notre sens de l'efficacité et de notre logique. Juste pour équilibrer.

Roger Munier donc : "Le haïku est un court poème en trois vers de 5/7/5 syllabes. Il est issu d'un poème lui-même déjà bref (le tanka) de 31 syllabes réparties en deux versets de 5/7/5 et 7/7 syllabes, dont on n'a conservé que le premier. Son origine est donc presqu'aussi ancienne que la poésie japonaise traditionnelle (Xème siècle) mais il ne conquit son autonomie qu'au XVIIème siècle dans l'école de Teikoku (1571-1653). Quatre grands noms ponctuent son histoire : Bashô (1644-1694), Buson (1715-1783), Issa (1763-1827) et Shiki (1866-1902). Aujourd'hui encore, il a de fervents adeptes au Japon. (...) À l'égal des autres arts du Japon, tels que l'arrangement des fleurs, l'art des jardins, le tir à l'arc, le Nô..., le haïku est beaucoup plus qu'un poème sur un instant privilégié. Il n'est pas excessif de dire que ce que propose un haïku achevé est une expérience qui s'identifîe peu ou prou à celle du satori, de l'illumination (...) Tout imprégné du boudhisme Zen, sa pratique, écriture et lecture, est en elle-même un exercice spirituel. (...) Partant de là, les mots du poème ont d'abord pour mission de produire le suspens de l'esprit qui caractérise cette expérience - comme le surgissement d'une évidence seconde qu'ils désignent, à quoi ils renvoient, mais qui n'est pas "en" eux vraiment. Ils doivent la servir, par leur justesse, leur charge expressive certes, mais leur effacement aussi. Trop de beauté, trop d'efficacité verbale peut nuire dans le haîku. Et les textes à cet égard les plus réussis, ceux dont le pouvoir d'éveil est le plus grand, sont aussi les plus immédiats et les plus limpides. Ceux qui, du même coup, posent le moins de problèmes de traduction.

Exemple (Ryôta):

Ils sont sans parole

l'hôte, l'invité

et le chrysanthème blanc

Commentaire : d'une lecture hâtive l'esprit risque de ne retenir que le silence admiratif et de l'hôte et de l'invité devant le chrysanthème blanc. Dans l'image qu'il suscite, le haîku. dit bien cela, mais autre chose encore ; liépour une part à la contexture des mots mais qui pourtant la déborde.En réalité, il parle d'un silence à trois. L'hôte se tait et l'invité, mais "aussi" le chrysanthèmeblanc. Peut-être même est-ce son silence à lui qui est ce qui compte le plus. Les deux hommes ne sont muets devant la fleur - dont la beauté n'est pas à dire, sinon à raison du silence qu'elle provoque - queparce qu'en cette beauté même, elle est silence qui excède absolument toute parole. La contemplant, ils sont incités, comme contraints à partager son silence de fleur. Leur propre site, dès lors, n'est plus seulement admiratif mais d'adhésion à un dehors qui les dépasse, auquel ils n'accèdent qu'en se taisant Mais auquel réellement ils accèdent, qui devient leur aussi, dans le mutisme extasié. Est-ce là autre chose, par le détour de la contemplation d'une fleur, que le satori, l'illuminarion qui fait un avec le monde rencontré dans un de ses fragments hic et nunc, et soudain rendu présent, dans le dépassement un bref instant de notre essence limitée ?

J'ai fait ce commentaire. Mais il est clair qu'il est loin d'épuiser la richesse polysémique du poème,même pour ce qui est de l'incitation à rejoindre le silence extatique du chrysanthème blanc... Autant que ceux de l'hôte, de l'invité, les mots de la glose sont indigents ; bien plus, ils risquent de contrarier, en lui donnant un contenu, l'épreuve sans confins qui doit naître de la lecture. A vrai dire, un haîku, ne se commente pas, si ce qu'il renferme sans jamais le retenir prisonnier des mots est à chaque fois com-me le dit Blyth, "apprehended and not expressed but pointed to".

Il en sera du poème comme d'une boîte vide, d'une aube ou d'une glace sans tain : il ne s'interposera pas entre l'oiseau et le cri, le soleil et la rosée, la vague et l'écume, le regard et la chose... car ils sont chacun indissolublement liés ; il soulignera seulement.

Le printemps est là, mais le coucou n'y est pas. Si vous le cherchez, retournez l'image, il est peut-être dans les feuillages de l'arbre. Mais n'insistez pas trop, c'est un oiseau discret. Laissez son chant venir à vous d'entre les fûts de la cathédrale de vert. Quant à son message, il n'y en a pas ; juste un chant pour écouter ; rien d'essentiel car il y a trop d'espace. Ce chant est sans contre-point dans la partition de la nature. Un chant sans accompagnement.