Où? La forêt de Luzarches. Un nom sur une carte d'état-major… Insolite toutefois… «Les arbres enlacés». À la limite des parcelles 491 et 492…Un chemin à partir de l’extrêmité du parc d’Hérivaux. Un fléchage rouge fluo indécent. Il n’en fallait pas plus pour orienter le pas…

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«…En contant ces annales, 
Philémon regardait Baucis par intervalles ; 
Elle devenait arbre, et lui tendait les bras ; 
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas. 
Il veut parler, l'écorce a sa langue pressée. 
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée : 
Le corps n'est tantôt plus que feuillage et que bois. 
D'étonnement la troupe, ainsi qu'eux, perd la voix, 
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ; 
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne. 
On les va voir encore, afin de mériter 
Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter : 
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre. 
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre, 
Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans. 
Ah ! si. .. Mais autre part j'ai porté mes présents. 
Célébrons seulement cette métamorphose. 
Des fidèles témoins m'ayant conté la chose, 
Clio me conseilla de l'étendre en ces vers, 
Qui pourront quelque jour l'apprendre à l'univers : 
Quelque jour on verra chez les Races futures 
Sous l'appui d'un grand nom passer ces aventures…»

Extrait : La Fontaine (Philémon et Baucis Livre XII – Fable 25)

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Jupiter et Mercure chez Philémon et Baucis.

La légende de Philémon et Baucis (d'après Ovide, métamorphoses VIII)

Dans une région montagneuse de la Phrygie, il y avait jadis deux arbres que les paysans se montraient du doigt, de près ou de loin, et pour cause, car l'un était un chêne, l'autre un tilleul mais ils n'avaient qu'un seul tronc.

L'histoire raconte comment ceci arriva et fournit la preuve de l'immense pouvoir des dieux et de la façon dont ils récompensent les humbles et les pieux.

Parfois, lorsque Zeus se lassait de goûter au nectar et à l'ambroisie de l'Olympe ou même, d'écouter la lyre d'Orphée et de regarder danser les Muses, il lui arrivait de descendre sur la terre pour y courir l'aventure, déguisé en simple mortel. Pour ces randonnées, son compagnon favori était Hermès, le plus amusant de tous les dieux, le plus sagace et le plus fertile en ressources.

L'excursion qui nous occupe avait un but bien déterminé ; Zeus voulait savoir jusqu'à quel point le peuple phrygien pratiquait l'hospitalité. Le père des dieux et des hommes s'intéressait très particulièrement à cette vertu puisque tous les hôtes, tous ceux qui cherchent refuge dans un pays étranger se trouvaient sous sa protection personnelle.

Les deux dieux prirent donc l'apparence de pauvres vagabonds coureurs de routes et se promenèrent au hasard à travers le pays, frappant à chaque chaumière basse, à chaque grande maison où ils venaient à passer, demandant partout de quoi se restaurer et un coin pour se reposer.

Personne ne voulut les recevoir ; toujours, on les congédiait avec insolence et la porte se refermait. Cent fois et davantage, ils répétèrent leur essai ; partout ils furent traités de la même façon.

Les deux dieux prirent donc l'apparence de pauvres vagabonds coureurs de routes et se promenèrent au hasard à travers le pays, frappant à chaque chaumière basse, à chaque grande maison où ils venaient à passer, demandant partout de quoi se restaurer et un coin pour se reposer. 
Personne ne voulut les recevoir ; toujours, on les congédiait avec insolence et la porte se refermait. Cent fois et davantage, ils répétèrent leur essai ; partout ils furent traités de la même façon.

Ils arrivèrent enfin devant une cabane à l'aspect le plus humble ; c'était la plus pauvre de toutes celles qu'ils avaient vues jusqu'ici et couverte d'un simple toit de roseaux. Mais là, quand ils frappèrent, la porte s'ouvrit toute grande et une voix aimable les pria d'entrer. Ils durent se courber pour passer le seuil tant la porte était basse, mais quand ils eurent pénétré à l'intérieur, ils se trouvèrent dans une pièce chaude et accueillante et surtout très propre, où un vieil homme et une vieille femme aux doux visages leur souhaitèrent la bienvenue de la façon la plus amicale et s'affairèrent à les mettre à l'aise.

Le vieil homme poussa un banc devant l'âtre et les pria de s'y étendre pour reposer leurs membres fatigués et la vieille femme y jeta une couverture. Elle se nommait Baucis, dit-elle aux étrangers, son mari s'appelait Philémon. Ils vivaient depuis leur mariage dans cette chaumière et ils y avaient toujours été heureux. «Nous sommes de pauvres gens, mais la pauvreté n'est pas un si grand malheur quand on est prêt à l'accepter, et un esprit accommodant peut être lui aussi d'un grand secours », conclut-elle. Tout en parlant, elle vaquait à de menues tâches et se préoccupait de leur bien-être.

Elle souffla sur les braises du foyer jusqu'à ce qu'un bon feu y reprit vie ; au-dessus des flammes, elle suspendit une petite marmite pleine d'eau ; comme celle-ci commençait à bouillir, le mari rentra, portant un beau chou qu'il était allé cueillir dans le jardin. Le chou alla dans la marmite, avec une grande tranche du lard qui pendait à une poutre. De ses vieilles mains tremblantes, Baucis prépara la table qui était bien un peu boiteuse, mais elle y remédia en glissant un éclat de poterie cassée sous un pied. Sur la table elle déposa des olives, des radis et quelques oeufs cuits sous la cendre. Le chou et le lard étaient maintenant à point ; le vieil homme approcha deux couches délabrées de la table et pria ses hôtes d'y prendre place et de faire honneur au repas.

Un instant plus tard il posait devant eux des coupes en bois de hêtre, et une jarre en terre cuite contenant un vin qui avait un goût prononcé de vinaigre et largement coupé d'eau. Mais Philémon semblait heureux et fier de pouvoir joindre cet appoint à leur souper et il prenait grand soin de remplir chaque coupe à peine vidée. Les deux vieillards étaient si contents et tellement surexcités par le succès de leur hospitalité, qu'il leur fallut tout un temps pour s'apercevoir d'un étrange phénomène.

La jarre restait toujours pleine ; quel que fût le nombre de coupes versées le niveau du vin ne baissait pas. Quand enfin ils se rendirent compte du prodige, ils échangèrent un regard terrifié et ensuite, baissant les yeux, ils prièrent en silence. Puis, tout tremblants et d'une voix mal assurée, ils implorèrent leurs hôtes de leur pardonner la pauvreté des mets offerts.

« Nous avons une oie », dit le vieil homme. « Nous aurions dû la donner à vos Seigneuries. Mais si vous consentez à patienter un peu, nous allons la préparer pour vous. > Mais la capture de l'oie s'avéra une entreprise qui dépassait leurs maigres forces. Ils s'y essayèrent en vain et s'y épuisèrent, tandis que Zeus et Hermès, grandement divertis, observaient leurs efforts.

Et quand Philémon et Baucis, haletants et exténués, durent enfin abandonner leur chasse, les dieux sentirent que le moment d'agir était venu pour eux. Ils se montrèrent, en vérité, très bienveillants. « Ce sont des dieux que vous avez hébergés et vous en serez récompensés », dirent-ils. « Quant à ce pays inhospitalier qui méprise le pauvre étranger, il sera châtié, mais pas vous. » Ils prièrent les deux vieillards de sortir avec eux de la chaumière et de regarder autour d'eux.

Stupéfaits, Philémon et Baucis ne virent plus que de l'eau partout la région tout entière était submergée, un grand lac les entourait. Les voisins ne s'étaient jamais montrés bien aimables pour le vieux couple, qui néanmoins pleura sur eux. Mais une autre merveille sécha les larmes des bons vieillards. La cabane qui depuis si longtemps était leur demeure se transformait sous leurs yeux en un temple majestueux, au toit d'or soutenu par des colonnes du plus beau marbre.

« Bonnes gens », dit Zeus, « exprimez un voeu et nous vous l'accorderons aussitôt. » Les deux vieillards chuchotèrent un instant, puis Philémon parla: «Qu'il nous soit permis d'être vos ministres et les gardiens de ce temple. Oh, et puisque nous avons si longtemps vécu ensemble ne laissez aucun de nous demeurer seul, un jour ; accordez-nous de mourir ensemble. » Emus, les deux dieux acquiescèrent. Longtemps le vieux couple servit dans le grand édifice, et l'histoire ne dit pas s'il leur arriva parfois de regretter leur chaumière douillette et les flammes joyeuses de son âtre. Mais un jour qu'ils se tenaient l'un près de l'autre devant la magnificence dorée du temple, ils se mirent à parler de leur vie ancienne, si dure et cependant si heureuse.

Ils étaient maintenant parvenus à un âge très avancé, et soudain, comme ils échangeaient leurs souvenirs, chacun s'aperçut que l'autre se couvrait de feuilles. Puis une écorce les entoura. Ils n'eurent que le temps de s'écrier tendrement : « Adieu, cher compagnon» ; les mots avaient à peine passé leurs lèvres qu'ils étaient transformés en arbres. Mais ils étaient toujours ensemble ; le chêne et le tilleul n'avaient qu'un seul tronc.

De partout on venait admirer le prodige et des guirlandes de fleurs garnissaient toujours les branches pour honorer ce couple pieux et fidèle.

Arbres souverains, remarquables, vénérables...

Vous l'êtes quand le touriste ne peut plus dire un "oh!" plus haut. Quand vous étiez plus petits, peut-être n'étiez vous encore que mobilier végétal, décor, promesse de beau fût que sais-je ? Il a fallu que vous soyez vieux pour que l'on vous regarde comme des êtres vivants. Alors que les magazines féminins privilégient les visages sans rides, quel regard contemplatif se serait autrefois posé sur vos écorces lisses ? Nul  ne vous voyait, et voilà qu'on commence à vous regarder alors qu'on oublie la femme ridée. Quelle signification y a-t-il à cela ? La poésie de la beauté n'est-elle que dans le vieillissement végétal et pas dans le vieillissement humain ? En réalité vos formes organiques nous rappellent peut-être à cette dimension ignorée dans l'humanité, celle d'une puissance de maturité qui crève tout vieillissement par une vitalité qui n'a cesse de puiser dans les racines de sa naissance. On frémit à votre présence, en sentant l'équivalence possible dans l'humain. C'est peut-être par ce jeu de résonance que nous pourrions être plus que jamais dans la ferveur de vous protéger.

Mais les notions de développement durable tant prônées aujourd'hui n'ont-elles pas encore une fadeur bien lessivée devant tout le panache de vos houppiers ?

Les Monuments aux Vivants que vous êtes, puissent-ils ne pas êtres des "Monuments" aux Morts", car outre le risque qu'ici où là sur Terre, on puisse vous abattre, on pourrait aussi vous protéger en oubliant dès lors tous ceux que l'on coupe ailleurs sans soucis de forêts ou bocages remarquables et vénérables... 
Puisse le remarquable nous appeler à voir le moins remarqué. 
Puisse le vénérable nous appeler à voir ce qui est moins vénéré... 
Le remarquable et le vénérable de demain sont le non-remarqué et le non-vénéré d'aujourd'hui. 
Ils concourent déjà à l'âme des paysages. Puissent les très vieux arbres servir en fait de figure de proue à toute une conservation de la nature. 
Puissions nous au-delà de la préservation des symboles préserver l'essence, toute l'essence de la nature... et là se sera notre attitude qui deviendra enfinvénérable... 
  

Bernard Boisson

Texte présenté sur le site internet du photographe Jérôme Hutin ( http://arbresvenerables.free.fr) dans la rubrique "Appels".