Notre ami Vania nous a
Couté & Vania photo officielle (RobinFP)

UNE VIE EN CHANSONS

Je n’avais pas l’intention d’intervenir dans ces tristes circonstances, je suis par trop éprouvé pour cela, mais Danièle (qui a enduré avec un courage inoui cette terrible période) me l’a demandé avec tant de gentillesse que j’ai écris quelques mots… C’est un livre qu’il faudrait pour dire tout ce qui me vient à l’esprit pêle-mêle, mais, bien sûr, je dois faire au plus court .

Lorsque, je l’ai rencontré, à l’occasion d’une visite médicale de routine, Vania défendait déjà la cause de Couté et c’est même ce qui nous a réuni… Voilà bien cinquante ans et guère avec… Je ne sais rien de lui avant…

Très vite la réédition dex textes de Couté par le Vent du Ch’min, lui a fourni l’occasion de promouvoir l’esprit de Gaston Couté, textes après textes, musiques après musiques, de guitare en orgue de barbarie, de bistrots en caboulots.

Sur cette base, et en raison de ses qualités propres, il est très vite devenu un ami et un frère et son nom m’est devenu indissociable de celui de Couté, allant jusqu’à ce qu’il s’identifie à notre poète préféré, pressé de mourir comme son mentor, dans la fleur de l’âge…

Après, autant que je me souvienne, souvent la galère·! J’allais dire le pétrin… Une vie de bâton de chaise où le souci de la nourriture de son chien, «·La grolle·», passait avant la sienne. Et puis une addiction menaçante qui aurait pu le détruire s’il ne m’avait pas trouvé, en tant que médecin, sur sa route.

On est passé souvent à deux doigts de la grande faucheuse, d’hosto en préfecture pour retrait de permis et autres catastrophes…

Vous imaginez aisément que Roudon soit très vite devenu son port d’attache au pays de Couté, l’occasion de faire une cure de chansons et de poésie, annuellement au moins, et avec tous les amis qui sont là aujourd’hui, en référence à ce poète génial qui nous guidait pour vivre.

Toujours, un fond de désespoir l’animait, mais la promotion de l’œuvre, d’abord en ce lieu -—que l’on découvrira, par la suite, comme ayant été habité par Couté—, puis du fait de notre insistance, avec l’appui de la municipalité de Meung-sur-Loire, lui aura tenu la tête hors de l’eau… Si je peux dire.

Et nous avons réussi à ancrer, espérons pour longtemps, Couté, l’anarchiste, en son pays conservateur, au moins en tant que patrimoine…

C’est surtout les retrouvailles avec Danièle qui devaient prendre le relais pour l’accompagner ensuite. L’amour, rien de mieux que l’amour·! Et leur mariage à Roudon fut l’occasion d’une grande fête où l’on s’est habitué à passer les nuits en chanson.

Dès ces temps-là, je n’étais plus trop inquiet pour Vania, sauf coups de fil épisodiques de Danièle… Les enfants merveilleux et exotiques, Pauline et Pierre, étant venus pour l’inciter à vivre et à acquérir la responsabilité du pater familias.

Durant, plus de 10 ans, les Nuits Gaston Couté ont animé les Journées Gaston Couté duquel il devint un pilier, lui et son orgue de Barbarie, indissociables. Plus d’une centaine d’interprètes se sont alors révélés, fort de cet exemple. L’Itinéraire Gaston Couté en était la suite logique et surtout se terminait à Gargilesse (Indre) près du lieu, La Maison Dieu (·!), où les amis avait jeté leur dévolu sur une maison de campagne.

Vania… Un costaud tout à fleur de peau… D’une authenticité sans failles. On pourrait reprendre en outre, à son crédit, tous les qualificatifs qui s’appliquent à Couté… Une même verve… Un même état d’esprit.

Je vous rappelle ce qu’il écrivait au mois de janvier de cette année·:

« Peut-être qu’au cours de cette année nouvelle, les mimosas seront plus jaunes, le muguets·et leurs clochettes plus nombreux, les coquelicots refleuriront et les merles moqueurs chanteront de nouveau… Si tous ces cochons de financiers, nantis et véreux, rendaient ce qu’ils ont volé à la société, ils éviteraient l’immense tsunami libertaire qui risque de les engloutir.·

Qu’on se le dise et que nos spectacles, notre musique continuent encore un peu à vous rendre joyeux dans le peu de liberté qui nous reste.·»

Que de lucidité· dans cette prose que j’entendais promouvoir pour prendre date ! Les fameux «·Coups de gueule de Vania·!·».

Lui disait «·La p’tite feuille de Vania·». J’écrivais en préface·: «·Comment abandonner à l’éphémère un propos aussi roboratif et aussi authentique que celui exprimé (on devrait dire proféré), saison après saison, depuis plusieurs années, par l’Ami Vania. Comment celui qui engage sa vie dans les pas et la parole de Gaston Couté, notre poète de prédilection, n’aurait-il rien à dire·? Vania dit effectivement ce qu’il a à dire et ne l’envoie pas dire… Des coups de gueule salubres qui prennent acte du moment présent et ne ratent pas leur cible.

Pas plus que Couté, son mentor, il ne tolère ni l’hypocrisie, ni la langue de bois ou le double langage. Il épingle en priorité les pharisiens, les capitalistes, les militaires, les juges… bref les dévots de tout poil… Et chacun va en prendre pour son grade…

Prendre délibérément le parti des déshérités et des saltimbanques dont il fait partie, n’est pas chose aisée. Il est en chanson, leur porte parole invétéré. Le chanteur «·qu’a mal tourné·»…

Au-delà, la verve de Vania, spontanéité du propos, qualité de la prestation et chaleur du propos est toujours au service des vraies valeurs de l’humanité·: justice, liberté, égalité, solidarité, et qui plus est, fraternité. Il ne baisse jamais pavillon devant les inévitables déceptions que lui procure la société à cet égard. Il revendique la permanence de l’enchantement et de la révolution et s’acharne, à l’aide d’un orgue de barbarie ou d’une guitare, à transmettre la mélodie et les textes militants qu’il déclame mieux que personne.

Mais ses écrits, destinés par priorité à ses ami(e)s, traduisent si bien le fond de sa pensée qu’il aurait été sacrilège de les laisser au fond d’un tiroir ou séparés en p’tites feuilles. Une édition sobre devait permettre de les réunir et de les rendre accessibles à tout un chacun pour le souverain bien.·»

Alors commandez son livre, lisez-le et relisez-le.

Une véritable tragédie… Oui… Celle de l’agonie. De cet ami, pétri de conflits intérieurs masqués par une énergie mise au service de la chanson et de l’amitié (les poteaux…). Et Danièle, merveilleuse d’endurance dans l’adversité capable, malgré tout, de nous informer quasi au jour le jour.

Quoiqu’il en soit, —avons-nous baissé la garde·?—, Vania, le trompe-la-mort, en a profité, avec l’aide des chirurgiens, pour nous fausser compagnie… Et rejoindre Couté·! Laissons-les, là-haut, en tête à tête, agissons selon eux et gardons leur mémoire précieusement.

Vania mort pour rien·? Lui qui révait de mourir pour la bonne cause… Mort pour prévenir un cancer… il n’y avait rien d’urgent à cela… Je n’ai pas pu le convaincre d’y renoncer et je n’ai pu que lui dire adieu sans être sûr d’avoir été entendu…

Alors, un bon conseil et c’est celui du médecin·: faites un don pour cette cause-là, si vous voulez… Mais n’allez pas jusqu’à mourir pour elle·!

«·Mais après tout faut pas tant que j’blague

Ça m’arrivera itou tout ça

La vie c’est un arbre qu’on élague

Et je serai la branche qu’la mort coupera·»

La vraie morale de cette histoire, contrairement à ce que vous pourriez penser, c’est que la vie est plus forte que tout —n’est-ce pas elle qui a inventé la mort·sur laquelle elle s’appuie pour se renouveler ?—. L’enfant que porte Pauline, sa fille, est là pour le prouver. Puisse le chagrin des siens trouver le réconfort dans cette naissance.

Nous resterons fidèles à lui dans l’hommage que sa vie nous a suggéré… Vania, toi qui te serait fait tuer pour que vive la chanson populaire engagée ·! Merci pour l’aventure·!

François ROBIN